Il avait différé tant que possible. Ses potes lui en avaient dit le plus grand bien, et aussi le plus grand mal. Trop cool, trop naze…lui n’avait pas vraiment d’avis vu qu’il n’avait pas encore regardé à quoi ressemblait le nouvel algorithme de tri sélectif des vœux des futurs étudiants au nom poétique : Parcourslib. D’autant qu’il avait la vague intuition qu’il allait encore être dans une situation atypique vu, qu’après le bac, il avait fait une année en Australie. Sympa, compliquée, riche…cela avait été une belle aventure mais là retour au bercail. Son père lui avait mis un Post It sur son écran d’ordi. Parcourslib : plus que 3 jours pour tes vœux !
Donc, il fallait s’y mettre. C’est parti ! Il virevolta avec aisance dans les premières pages très fun…n° machin, date de truc, nom de bidule…tout alla pour le mieux jusqu’au moment où un certain nombre d’alertes lui sautèrent aux yeux :
Etes-vous certain d’avoir le niveau en langues vivantes pour cette filière ? Les exigences requises en mathématiques ne correspondent pas à la filière que vous avez suivie en terminale ?
Sauf qu’il était fait référence au bac et que lui, les langues vivantes, il les avait fait vivre. Mais zut, c’est où qu’on parle de ce qu’on a fait vraiment. Il y a que des chiffres à entrer dans ce bazar. Une Hot line peut être ? Autant rêver ! SOS Parcourslib…trop d’étudiants en ligne. Vous auriez du vous y prendre plus tôt et ne pas attendre le dernier moment. Le réseau risque de saturer. Ce qui se passa. Tout était bloqué. Merde, je n’ai pas enregistré. Il en était à 3 tentatives de connexion, plusieurs essais de saisie de vœux, et il avait le sentiment d’avancer en milieu chaotique. Il se heurta à plusieurs reprises au message suivant : vos demandes ne sont pas cohérentes. Vérifiez la compatibilité de votre demande. Vérifier oui, mais où ? Comment ? Il était 18 heures, il était passablement énervé, les quelques vœux qu’il avait émis n’avaient visiblement que peu de chances d’aboutir.
Etonnamment, de temps en temps, il pouvait consulter le flow de Parcourslib, une imitation moins fun du flow de Deezer. Cette filière pourrait mieux vous convenir. Y avez vous pensé ? Ou des petits messages du style : 83% des personnes qui sortent de la filière truc ont choisi une 1ère année en untel. Les personnes qui ont des notes comparables aux vôtres sont 72 % à avoir réussi leur premier cycle. Or, rien de ce qui lui était proposé ne le faisait palpiter. Et rien de ce qu’il souhaitait ne semblait facilement accessible. Il en était là de ses rêveries quand son père l’appela sur son portable.
– Ça va Justin, alors, cette inscription sur Parcourslib, tu avances ?
Légèrement agacé, Justin fit un effort de courtoisie.
– « Oui, Papa, j’y suis, c’est moins simple que ce que tu me disais… »
– « Ne t’inquiète pas, on verra cela ensemble ce soir…au fait, je vais faire les courses pour le repas du soir. Je pensais à du chinois à emporter ou une paëlla chez Tonio. Qu’est ce que tu préfères ? »
– « Franchement, la paëlla c’est bien. Mais je préfèrerais finir ce truc avant de dîner. C’est pas bon pour l’appétit ».
Il poursuivit ainsi son surf déprimant sur Parcourlib sans vraiment progresser. Il lâchait l’affaire quand il entendit son père rentrer.
– « Bonjour Justin, c’est moi, finalement il n’y avait plus de paëlla ; et il y avait vraiment trop de monde chez le Chinois…j’ai pris une pizza 4 saisons, la même qu’hier. Ça t’a plu hier, non ? »
Justin soupira… Parcourslib, repas du soir, même combat. Dis moi ce que tu veux, je te dirait comment t’en passer, disait justement Coluche. Alors, il sortit de sa tanière.
– « Au fait papa, en regardant Parcourslib, j’ai eu une idée… »
– « Oui, laquelle ? »
– « Et si je faisais une autre année à l’étranger ? »
Son père stoppa alors qu’il enfournait la pizza au micro-onde.
– « Une autre année à l’étranger. Mais tu en viens ! »
– « Oui, mais j’irais ailleurs. Je pensais au Zarmézan. J’ai vu un reportage. Ça a l’air bien. »
– « Pourquoi le Zarmézan ? Quelle drôle d’idée ? »
– « Pourquoi ? Parce qu’il y a de la place vu que personne ne veut y aller. Et pourtant ça gagne à être connu, visiblement ! »
Son père soupira.
Et Justin regagna sa tanière. Liberté ? Non mais !